Jean COCTEAU (1889 - 1963), écrivain français
Manuscrit autographe titré « La lampe d'Aladin ». (1906 - 1907) ; 25 pages grand in-4°.
Rare manuscrit de travail de premier jet du tout premier livre de Jean Cocteau « La lampe d'Aladin » imprimé le 1er février 1909.
Cahier broché comprenant 25 feuillets inégalement remplis de textes et de petits dessins. Quelques pages fragilisées, petites déchirures marginales, nombreuses biffures, ajouts et corrections
autographes.
Emouvant témoignage des premiers essais poétiques du jeune Jean Cocteau alors âgé de dix-huit ans. Les trois premières pages, écrites au crayon à papier, sont une liste de titres qui donne le plan
détaillé de l'ouvrage. Cocteau a pris soin de rayer chaque ligne au fur et à mesure de son avancement dans la rédaction : « Préface, Angoisse, Les gens ne comprennent pas les sensitifs, Les
nocturnes, Les vers que j'aime sous leur rétines grise, les vers, les vers que j'aime sont sur ma table (…) plus loin : Les primitifs, Le chat, Lui, Les pas (…) ». Suive une vingtaine de pages
rédigées à l'encre, faites d'ébauches plus ou moins inégales de poèmes et passages narratifs, pour certaines ornées de petits dessins de personnages caricaturaux, le passage le plus élaborée étant
l'agonie de Monsieur de Friolles,
La Lampe d'Aladin [1907-1909]. C'est en février 1909 que parut le premier livre de Jean Cocteau, « La lampe d'Aladin », à compte d'auteur à la Société d'Éditions. Ce recueil de poésies est dédié à sa
mère chez qui il vivait à l'époque. À la suite des 92 poèmes, composés entre 1906 et 1908, ordonnés en 6 parties (Les degrés de marbre - Le piédestal de bronze - Les cauchemars - Le verger
miraculeux- Le caveau - Silence), le recueil s'achève sur une fantaisie en un acte, « Bric-à-Brac ».
Une présentation au théâtre Fémina , donnée le 4 avril 1908 par le comédien Edouard de Max, avait révélé le nom du jeune Jean Cocteau au Tout-Paris, où Laurent Tailhade avait salué le jeune poète : «
Cette conception amère, ce pessimisme de l'adolescent qu'effraie et sollicite la douleur de vivre donne aux poèmes de Cocteau un accent très personnel, une distinction dans la mélancolie extrêmement
remarquable », Cocteau lui avait d'ailleurs dédié son premier poème « Le mensonge ». Il faut y ajouter également la fantaisie dans ce recueil placé sous le signe des Mille et une nuits.
En introduction, Cocteau explique le choix de son titre (« Pour expliquer le titre ») dont on ne citera que la conclusion : « J'ai erré dans la vie sombre avec la lampe merveilleuse. Jeune comme
Aladin, j'ai, marchant d'un pas craintif, vu des fruits, des joyaux, des lueurs et des ténèbres. Et, le cœur chargé d'illusions, j'ai pleuré devant la difficulté de les apporter à la lumière pour les
offrir au monde incrédule. ». Pourtant, bien que ces débuts poétiques furent chaleureusement accueilli, Cocteau renia toute sa vie ses écrits de jeunesse, s'opposant à toute réédition.
« Voir sa jeunesse ainsi qu'un objet qu'on possède (…) Et moi je suivais le premier du cortège. Et moi je suis venu de si loin pour deux mois avec mes griffons et mes chats siamois mon cheval que je
monte aux grands jours de parade (…) Mon singe avec sa toque à grandes plumes d'autruche (…) ».
« Chez moi dans mon palais chez moi dans mon palais mon petit trône anglais mon petit trône était juché sur une estrade (…) ». « (…) Les trois dames de Venise - Mai - Comment mourut Monsieur de
Niversac - Monsieur de Niversac allait mourir - Parole impuissante du vieux docteur. ».
« Monsieur de Niversac pensa qu'il valait mieux mourir à Venise - Il remercia le hasard qui lui avait fait entendre la condamnation du docteur Halein et très calme avec à peine un peu de tristesse
sur son visage mince il regarde par la fenêtre (…) ».
« Comment mourut Monsieur de Mirvolles - Monsieur de Mirvolles est au lit dans la grande chambre de son palais vénitien - Monsieur de Mirvolles va mourir tout bêtement d'un coup d'épée au poumon - il
le sait parce qu'il a entendu le docteur Mahalile confier la chose à son vieux domestique (…) C'est la seule solution élégante après le ridicule d'un duel défavorable. ».
« Monsieur de la Fragance ouvrit les yeux, retira son index engourdi (…) s'aperçu que c'était le crépuscule (…) regarda par la fenêtre le grand canal était calme en face de son petit palais ».
« Monsieur de Fragerolles. Un livre qu'il lisait avant son sommeil (…) Monsieur de Fragerolles ouvrit les yeux - La chambre du petit palais était pleine de crépuscule - Monsieur de Fragerolles voulut
mourir d'une manière élégante. ».
« Monsieur de Fragerolles mourut avec une suprême élégance - il y avait dans la chambre du petit palais (…) un beau lux de fleurs (phrases biffées). Ces rose grimpantes (phrases biffées). Les longs
bateaux avaient fourni les grenades aux couleurs jaunes et rouges et vertes de la ville (…) ».
« Monsieur de Fragerolles ouvrit les yeux (…) - Monsieur de Friolles allait mourir - Autour de son lit c'était un extraordinaire luxe de fleurs et de fruits - Les longs bateaux qui étaient au loin
chargés de cargaisons éclatantes ont fourni sans doute les grenades aux couleurs de la ville et le jardin d'Eden avait du offrir ses roses grimpantes - Il y avait dans la chambre du petit palais son
domestique un prêtre et le crépuscule - Mais de Fragerolles se tua à la suite d'un duel inutile et comme il était exigeant et brave cette fin lui semblait la seule issue possible après le ridicule
d'une autre blessure. Monsieur de Friolles n'écoutait pas les paroles chuchotées par l'homme d'église, mais il regarde fixement la petite glace face à la fenêtre afin de voir alors les gondoles aux
marches de ses fenêtres. - Venise était calme, sur l'autre rive du grand Canal (…) les deux nonchalants (…) avaient clos ses stores, comme des paupières (…) ».
« Tout à coup dans le silence, ce furent des appels de gondoliers, un clapotis d'eau le chuchotement des rames contre les pieux multicolores un étrange concert de voix féminines - D'un geste aimable,
Monsieur de Friolles renvoya les deux hommes en prière, aviva ses pommettes blêmes avec une lampe de rose qu'il avait sous son traversin, et gracieux (…), une main recluse et l'autre à moitié pris
entre les pages d'un livre quelconque - il attendit qu'on veuille bien frapper à sa porte - Entrez ! - Trois dames pénétrèrent dans la chambre - La première était mince, blonde et ravissante. C'était
Miss Nmm - La seconde était forte, brune et belle. C'était la S… - La troisième était menue rousse et jolie (…) - [Monsieur de Friolles] eut un bonjour de si différente et comme il devina que ces
dames allaient emplir la chambre (…) - Vous êtes toutes trois mes maîtresses c'est pour trois surnoms grotesques (mot biffé) (…) dont vous affubla quelqu'un de ma connaissance que je me suis battu
l'autre fois -Le docteur affirme que je ne passerai point la nuit et je vous ai fait signe de venir à la même heure pour distraire une agonie bien terne et bien morose. ».
« Les parfums de ma chambre lutent haut avec l'arôme saumâtre de légumes, un radeau couvert de lampions multicolores glisse avec les refrains populaires des chanteurs qu'il transporte. Mon domestique
italien a clos d'un tour de clef la porte par laquelle vous entrèrent (…) chacune…et je vais même partir avec la charmante consolation de vous avoir enfin connu ensemble. - Dehors (…), une voix
splendide et malsaine roucoulait une romance (…), romance banale et sans doute que le soir calme rendait divine… - Ce fut un spectacle unique (lignes biffées). En gitan, en russe, en italien (…)
Aucune des trois ne comprit la gêne (?) de l'autre et leur ignorance redoublait leur fureur jalouse (lignes biffées). Elles essayent d'exprimer leur haine par gestes (lignes biffées) (…) la mêlée est
bientôt complète - les ongles griffent - les pieds frappent - les dents mordent ».
« En anglais, en russe, ce fut un étrange et fantastique concert d'insultes - Friolles était le seul à comprendre et il contempla la scène avec un muet sourire. Aucune des trois femmes ne
connaissaient la langue de sa rivale et l'impossibilité d'une explication quelconque (lignes biffées) les rend folles. - Les (…) rages, sifflantes et claires se mélangeaient dans un chœur
ininterrompu - Miss S… peureuse et fièle s'était blottie contre le mur où pendaient des guirlandes - La russe (…) et comme elle se piquait aux épines (…) - L'italienne de rage saisit un grand vase de
cristal et le vida sur les lutteuses (lignes biffées) - Alors ce fut une mêlée véritable - Les plumes, les dentelles, les boucles volent, jonchent le tapis (lignes biffées). Les perles d'un collier
roulent (…) - Aucun voyait toutes ces choses comme dans un brouillard - il entend encore le son des cloches qui remplissent au soir l'atmosphère vénitienne (…) »
« (…) L'anglaise était peut-être sans connaissance. La russe respirait fort et l'italienne à genoux enlevait d'une main rapide les mèches noires que la sueur lui collait au visage (…) Je me suis
battu pour vous (…). Nous fûmes réunis autour d'une table de bridge - Car une partie muette était pour vous la seule réunion possible…ce soir hélas il m'est impossible de faire le quatrième et il
mourut. »
« C'était un parc géant. C'était un petit parc. C'était au clair de lune un petit parc plein d'ifs. Les uns étaient des paons et les autres des vasques. Et l'homme avait changé pour des formes
fantasques. Le cierge simple et vert de ces arbres naïfs. Et dans la nuit les vrais oiseaux et les vrais marbres (lignes biffées). Les souples oiseaux bleus les durs marbres blancs s'étalaient le
soir juste assez ressemblant leurs profils faits par l'homme des arbres. Et il pensait pourquoi museler (?) des massifs. Par de figure la beauté (…) - à branche. Puis il alla le pas bleu près de la
vasque blanche. Et ils pensent devant ces douloureux massifs (…) »
« Et près du vieux bourreau de ce sérail jardin gardé par les grands lys froids et pâles eunuques j'ai cru voir la seul saine au geste de dédain qui désigne avec un index ganté de daim un choix de
rose et d'offrande de saillantes nuques (lignes biffées) »
« Elles n'ont qu'un parfum pour vous d'une grâce. Nous tyrannisions les pauvres animaux (…) les roses qu'on saccage. Ce matin vous glanez des roses, il a plu et pour ne point salir vos nids de terre
grasse un jardinier prit la fleur qui vous a plu. Votre ordre est bref, impitoyable, résolu. Elles n'ont qu'un parfum qui vous donne grâce. Ce matin vous glaniez des roses - il a plu. Le sol brille,
la tige griffe, l'herbe est grasse. Un serviteur cueille la fleur qui vous a plu (…). Elle n'a qu'un parfum pour maquiller votre grâce. ».
« Et vous étiez unie de morgue et de dédain. La sultane, parmi les lys pâles eunuques qui désigne avec un gant de daim au jardin (…) un choix de rose et safran de suppliantes nuques (…) Sur l'écorce
des marronniers de la pelouse. Vous n'avez plus les jeux que jadis vous aviez. Votre jupe chuchote un secret au gravier (…). Je ne vous parle peux ou les mêmes mots. On se retrouve…on veut
recommencer. C'est le supplice. C'est le clair tribunal des roses, ce matin ! Et pour ne point salir vos souliers d'herbe grasse. Et de peur qu'un rayon (n'abîme) votre teint un serviteur les coupe à
votre ordre hautain. Elles n'ont qu'une odeur pour (votre) grâce… ».
« Pour regarder mourir (ligne biffée). Un serviteur suivait votre (ligne biffée). Ce matin vous alliez sous l'énorme chapeau. Et pour les voir mourir au cri seul d'une coupe pour que le supplice au
gris vif d'un pot (ligne biffée). »
« Ce matin vous glaniez des roses (ligne biffée). Ce matin vous marchez entre les buis. Ce matin vous glaniez des roses. Il a plu. Vous glanez des roses - pour ne point salir au sol boueux le bord de
votre robe. Il a plu - vous glanez des roses. Pour que leur mort languisse. »
C'est en février 1909, à l'âge de vingt ans, que parut le tout premier livre de Jean Cocteau, « La lampe d'Aladin », publié à compte d'auteur. Le jeune Jean Cocteau avait alors compilé une série de
92 poèmes, commencée deux ans plus tôt. C'est un recueil d'adolescent empreint de mélancolie, de pessimisme mais aussi de fantaisie. Ici nous présentons les premiers essais poétiques, du jeune
écrivain, qui hésite, rature, corrige, se laisse aller à quelques caricatures en marge. Un rare document dans la genèse littéraire d'un des plus grands écrivains du vingtième siècle.